Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Verba volant scripta manent
4 octobre 2012

"La dictature tacite" Extrait - Catégorie Nouvelle

 

  "La dictature tacite"

  

Bien souvent, je suis spectatrice de mon être. Je suis tout ce qu'il peut paraître de plus commun, une jeune femme ordinaire et sans histoires, la petite secrétaire qui vous salue poliment le matin, fait ce qu'elle a à faire et quitte son bureau le soir, dans la même discrétion. Cette année, j'aurai trente ans. Je viens de passer les trois derniers mois à tenter d'appréhender le cap. Je ne regarderai plus en bas, tous mes filets de sécurité se sont dissouts. J'ai le sentiment d'avoir entamé l'escalade d'un édifice semé d'embuches, de questions auxquelles je n'aurai jamais les réponses, de rencontres sans aboutissement, de décisions sans succès. Je serai trentenaire donc. Mes amis avaient peut-être le remède à mes angoisses, ils n'avaient pas l'air de se soucier de cette dizaine de plus à leur compteur. Il y avait, d'un coté, Chloé, qui allait de déceptions en déceptions, elle ne concevait pas d'être avec un homme si ce n'était pas « le bon », mais s'accordait à dire que tout cela n'était que foutaise et que la personne idéale était devenue une savante stratégie commerciale. De l'autre, Manuel, simple et insouciant, qui gardait néanmoins bon espoir de faire la rencontre qui le rendrait complet. Étais-je seule folle à faire de ce trentième anniversaire un évènement chaotique ?

 

Un mardi matin, Chloé avait tenté de me joindre à deux reprises, je n'avais pas décroché, je lui en voulais un peu de me délaisser au profit de son nouveau jules rencontré un mois plus tôt, elle qui passait son temps à descendre en flammes les relations des uns et des autres. J'estimais qu'elle n'avait pas eu besoin de moi ces dernières semaines et donc qu'elle pouvait se passer de mes nouvelles. C'était un comportement un peu puéril que j'adoptais là, seulement il s'imposait à moi. J'avais bien trop de mal à réprimer mon orgueil. Je ne dis pas que mon attitude me rendait particulièrement fière de ma personne. Il est des réflexes qui, justement, sont des réflexes, c'est automatique.

 

Mon chef, lui aussi, avait trouvé le moyen de m'appeler alors que je prenais quelques jours de congés, à croire que la boite était amputée de sa trésorerie sans moi. C'est drôle comme les gens ne vous prêtent guère d'attention tant que vous êtes là, mais il vous suffit de disparaître un temps donné pour que la ruche s'affole. Tout comme à Chloé, je ne lui ai pas répondu, je me suis contentée d'écouter ses messages sur mon répondeur, et d'y répondre par un courrier électronique certes froid mais concis :

 

 

Bonjour. Bien eu vos messages. Les factures du mois de janvier

sont dans le classeur vert prévu à cet effet, cela n'a pas changé.

 

À dans 10 jours

 

 

Il pouvait bien prendre cela pour de l'insolence, ça ne me dérangeait pas, j'avais toujours fait le travail comme on me le demandait, et même souvent plus que de raison, je ne volais pas mes vacances. J'en ressentais le besoin insatiable, en fait, pour aller au plus simple, je voulais démissionner. Ce gratte-papiers que j'étais, ce vide-poche de taches administratives, me renvoyait à l'image de la femme que je risquais de devenir si je n'y changeais rien, une quadragénaire aigrie, usée par ses semblants d'auto-satisfaction et ses assauts de consommatrice urbaine suffisante. Seule moi y pouvait quelque-chose. Je ne crois pas que je voulais fuir la société mais plutôt qu'elle finisse par me fuir. J'en arrivais petit-à-petit à étouffer sous ses sollicitations et cette masse criarde, tour à tour éplorée et euphorique, avait eu raison de ma tolérance. Plus je m'entourais plus je trouvais les gens décevants, insipides et ennuyeux. J'étais très souvent à leur écoute, mais je réalisais que ça n'était pas vraiment réciproque, et ce constat me lassait. Je connaissais Chloé depuis quelques années, je l'appréciais indéniablement. Malgré tout, je commençais à lui reprocher intérieurement tout un tas de détails pour le moins ridicules, mes griefs étaient quand-même là, ils me collaient à la peau.

 

Je me disais régulièrement que j'étais d'un égoïsme affreux puis la minute d'après je le maquillais en une réaction parfaitement légitime. Quelle-était la bonne interprétation dans tout cela ? J'avoue que c'était une question que je me posais de moins en moins. J'étais dans un état d'esprit totalement contradictoire. J'avais raisons, les autres étaient en tort, c'était à eux de venir me chercher, pire de s'excuser, en même temps, pour qui je me prenais pour penser qu'ils avaient des comptes à me rendre. J'oscillais comme cela depuis un bon moment déjà. Je pense que mes amis l'avaient ressenti, par conséquent, ils se faisaient plus rares, plus distants. Dans ces conditions, je ne savais plus dire s'ils agissaient justement en amis ou non. Mon rapport conflictuel avec le monde extérieur s'est installé insidieusement pour devenir l'instigateur de mon isolement.

 

Finalement, Manuel a finit par me rendre visite à l'improviste. Il se tenait là, au milieu du salon, à hésiter entre la gêne, le mécontentement et la tristesse. Je lui ai dit de s'asseoir, je regardais un film lorsqu'il a sonné. Il s'est donc installé sur le canapé, je n'ai trop rien dit, j'ai poursuivi ma séance sans trop le considérer avant qu'une voix en moi m'ordonne d'éteindre la télé. J'ai posé la télécommande et attrapé le cendrier avant de me tourner vers lui :

 

-Alors, que me vaut l'honneur de ta visite ?

-Tu m'appelles plus, j'ai fait quelque-chose ?

-Pas que je sache, j'ai un peu de mal à communiquer ces temps-ci.

-C'est rien d'le dire ! Au point de pas m'répondre quand j'appelle. Qu'est-ce qu'i t'arrive ?

 

J'ai laissé passer plusieurs secondes avant de tenter une réponse. Parce que je ne savais pas ce qui me poussait réellement à me comporter ainsi, et puis parce que, quand bien même je traversais une période obscure, je ne voulais pas blesser Manuel par une phrase malheureuse. C'était un gentil garçon, on s'entendait très bien.

 

-Regardes-moi, ma vie est d'un ennui, je me demande pourquoi je me lève le matin, tout est sordide !

-Abuses-pas Aurélie ! T'as un boulot, un appartement et des amis, ca pourrait être pire.

-Oui, je pourrais avoir trente ans !

 

Il a rigolé. Comme il voulait détendre l'atmosphère un peu plus, il m'a rétorqué :

 

-Ou être célibataire !

 

Bizarrement, ca ne m'a pas fait rire. Ça m'a plutôt heurtée. Il a de suite senti le malaise et s'est excusé. Il a reconnu que c'était stupide de sa part et qu'il n'était pas plus en couple que moi d'ailleurs. Sa gène greffée à mon amertume nous a ramenés à un pied d'égalité psychologique. Du coup, sa présence me faisait du bien. On se complétait, comme toujours. Nous avions, depuis le début, cette complicité naturelle qui nous autorisait les silences ponctuant d'ordinaire nos conversations. Je n'avais pas besoin de jouer un rôle en sa compagnie. J'étais moi, si tant est que je pus donner une définition à ce mot:moi. Avais-je jamais su ce que cela voulait dire?

 

-Non mais blague à part, dis-moi c'qui va pas? Reprit Manuel

-Je suis au point mort et une question m'obsède: Qu'est-ce que je vais faire de mes dix prochaines années? Je n'en ai aucune idée, ça me fait peur...

-Bah... Tu veux changer de boulot? Ou c'est plus sur le plan personnel, sentimental quoi?

 

Excellente question! Même à celle-ci je n'entrevoyais pas d'élément de réponse. Mon Dieu! J'étais vide, creuse.

 

...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Verba volant scripta manent
Publicité
Archives
Publicité